TERMINAL MARITIME ET « IMPACT VISUEL »

Modernisation du terminal ferry du Naye - Entrée du site

« VUE » ET PROTECTION DES MONUMENTS HISTORIQUES

Lors d’une récente conférence consacrée aux remparts de l’Intra-muros, Monsieur le Conservateur a évoqué une anecdote qui a ravi la salle : en effet, voici quelques décennies, certains résidents d’un immeuble situé Bastion Saint-Pierre-Plage et de la Plage du Môle auraient fait la demande extravagante à la Ville de Saint-Malo de tailler une brèche dans les remparts afin qu’ils puissent bénéficier d’une vue directe sur la mer. Les noms de ces riverains n’ont pas été livrés au public, qui s’en serait pourtant régalé.
Cette anecdote démontre magistralement que la vue (esthétique et virtuelle) peut être dissociée de la protection (physique et réelle) d’un monument : l’intégrité du rempart dans l’exemple ci-dessus.
Ainsi la revendication d’une vue ne passe pas forcément par la protection du patrimoine mais peut, éventuellement, provoquer son contraire : conduire à une défiguration ou à une destruction de l’objet patrimonial.

Un autre souvenir historique illustre bien l’évolution dans le temps des valeurs patrimoniales : dans les années 70/80, la « vue » était l’argument de vente principal de promoteurs sans vergogne qui sacrifiaient précisément le paysage qu’ils vendaient et en détruisaient le cadre. Ainsi, à Saint-Servan, les maisons bordant l’anse des Sablons ont échappé in extremis aux affairistes décidés à les démolir pour dégager la vue des immeubles de promotion tout en baies vitrées, situés en surplomb.

Actuellement la notion de protection s’est renforcée et les ensembles destinés auparavant à la destruction sont maintenant protégés au titre de l’Art L 123.1.7. À Saint-Servan, c’est heureusement le cas du secteur qui encadre la baie des Bas Sablons classée en zone UCi du règlement d’urbanisme de la Ville.
Dans le cadre d’une demande d’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ou pour l’obtention d’autres labels patrimoniaux, la demande pourrait être rejetée si le périmètre du « bien » proposé pour le classement ne répond pas aux conditions d’intégrité et d’authenticité du fait de la présence de bâtiment(s) ne respectant pas les règles de protection.

Terminal maritime et « impact visuel »

On ne peut objectiver une vue en obligeant les gens à regarder dans la même direction avec des œillères depuis deux points correspondant à des équipements privés. Dans la réalité chaque individu, en se déplaçant selon ses propres besoins, désirs ou plaisirs, crée une infinité de points de vue uniques et changeants : c’est justement ce qui fait l’intérêt d’une promenade dans un paysage.

Considérer seulement sous l’angle de l’impact et de la visibilité zéro un équipement public situé dans une zone portuaire est réducteur et non pertinent par rapport aux enjeux patrimoniaux.
Il serait plus approprié de considérer le port et la gare maritime comme des éléments constitutifs d’un patrimoine maritime vivant et en devenir. Comme le démontre l’histoire, le patrimoine historique n’a de sens qu’au regard de sa transformation.

Notre conférencier a également montré comment le rempart de l’Intra-muros qui semble figé dans son tracé s’est constamment renouvelé et adapté (avec les extensions et reconstructions successives pour atteindre une forme d’équilibre). Ainsi au début du XXe siècle, la Bourse de commerce, qui se situait alors du côté de la cale de Dinan, derrière le pont roulant, masquait les remparts et les hôtels de la Californie.
La co-visibilité s’apprécie à l’œil nu depuis le monument (situé derrière l’esplanade de la Bourse) où l’on peut constater qu’il n’y a ni « balafre » ou autre dégradation sur le Bastion Saint-Louis et que « Saint-Malo intra-muros ne serait ainsi visuellement définitivement plus une île – le Rocher- mais une sorte de prolongement d’une gare maritime et d’une passerelle », les deux étant distants de plus de 400 m !!! et de surcroît dans des séquences visuelles différentes !!! C’est grotesque. Il conviendrait de revenir au bon sens et de rappeler aux signataires de la pétition qu’ils peuvent se rapprocher des remparts s’ils veulent mieux les observer.

Une gare maritime exemplaire

Véritable élément structurant de la Ville et du Port, la nouvelle gare maritime conçue par le groupement AREP permet l’articulation plus solidaire des quartiers de Saint-Servan et de Saint-Malo. En rassemblant les éléments disparates du port des voyageurs, elle propose une recomposition urbaine et paysagère (sorte de chirurgie réparatrice, tout à l’inverse d’une « balafre » qui séparerait les chairs). L’harmonie est parfaite quand les liens sont devenus des lieux dans une composition d’aménagement qui unit les éléments du paysage et l’aspect des constructions.

Entre repère urbain, qui relie la ville au port, et humilité face à l’existant, la nouvelle gare maritime constituera le chaînon manquant à l’entrée de la ville. Interface entre ville et port, elle offrira un parvis à dominante végétale et recomposera les circulations. Le bâtiment formera un seuil vers les espaces portuaires.

Expérience d’installation et « génie du lieu »

L’intra-muros, bâti sur la mer et clos par le rempart est universel parce que se rattachant à la tradition des villes médiévales fortifiées installées dans le paysage au bord de la mer. Il s’inscrit dans la tradition de la ville portuaire de forme centrée, ceinte de murailles et proposant par sa densité, sa variété et son intériorité des possibilités de rencontres et de découvertes sans cesse renouvelées.

La ville est exceptionnelle et attachante précisément par son extraordinaire résilience, par sa capacité à se renouveler et à se développer au cours des siècles suivant le mode du palimpseste architectural. Elle a su marier ses fonctions maritimes et urbaines, tout en conservant son unicité et son histoire.

Ne faisons pas du patrimoine un vaste miroir dans lequel nous contemplerions notre propre image mais travaillons plutôt à fonder une identité culturelle dynamique où il retrouvera sa fonction constructive.

Nous ne sommes pas dans le cas de figure d’une nouvelle guerre entre les anciens et les modernes. La nouvelle gare maritime n’instaure pas de rupture, au contraire elle recherche les continuités, l’harmonie, la conciliation et la réparation entre toutes les composantes du site. De ce fait ce projet est simplement actuel, parce qu’il répond aux préoccupations de lisibilité et de fonctionnalité, d’intégration urbaine et patrimoniale. En affichant une modestie formelle, il coche toutes les cases et devrait rassurer les visions les plus traditionnelles du patrimoine.

L’activité portuaire a marqué l’histoire de Saint-Malo et continue de la transformer. C’est sa compréhension et la mise en dialogue avec son histoire qui peuvent permettre d’y inscrire et d’y faire accepter de nouveaux éléments.
Ce texte est volontairement limité à l’aspect patrimonial parce que ce projet est injustement attaqué sous cet angle dans une vision égo-centrée et égoïste alors qu’il présente une œuvre originale de grande qualité et sensibilité, plébiscitée par les usagers et les utilisateurs.

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