Je n’aime ni hurler avec les loups ni suivre les moutons de Panurge, aussi, quand je vois passer une pétition, j’en profite pour saisir l’opportunité d’une réflexion et m’interroger avant de m’engager.

Dans un premier temps, je m’étonne de voir qu’un photomontage faux, simpliste et truqué, tel que celui présenté par le collectif Sablons, récolte des milliers de signatures. Les vieilles ficelles marchent-elles donc toujours aussi bien ?

Je décide donc de remonter aux sources et me dirige vers le site de la Région Bretagne pour me faire une idée du projet présenté. Je constate qu’une démarche de concertation a eu lieu en bonne et due forme à partir d’octobre 2020, qu’elle a comporté des réunions publiques, des ateliers thématiques permettant les échanges, un comité de suivi et que tout cela figure de façon extrêmement transparente sur le site dédié au projet. Y sont également disponibles les études concernant la biodiversité, le cadre de vie, l’étude de paysage, l’environnement et les impacts socio-économiques. Associations et particuliers ont eu l’occasion, au cours de ces deux ans d’exprimer leurs inquiétudes et de les voir prises en compte. Un dossier téléchargeable présente clairement les tenants et aboutissants de l’opération. Quant au projet architectural présenté de façon détaillée sur le site, il démontre un traitement très attentif et sensible des espaces extérieurs et du bâtiment de la gare maritime. Bien sûr l’architecte des bâtiments de France a été consulté et a validé l’intégration urbaine et paysagère.

Sur le plan fonctionnel, les installations maritimes vieillissantes ne sont pas en capacité d’accueillir de manière satisfaisante les nouveaux ferries, et l’accueil des voyageurs laisse fort à désirer. Lors de la Route du rhum, Brittany Ferries présentait pourtant fièrement son futur navire hybride, le Saint-Malo, destiné à appareiller en 2025. Le projet de la Région correspond aux attentes des professionnels qui souhaitent faire évoluer l’activité maritime. Il permettra d’améliorer toutes les infrastructures (douanes, police aux frontières), qui ont besoin d’un gros coup de neuf. De plus, ce projet offre une opportunité unique à la ville pour réfléchir et travailler sur ses circulations, traiter la question des flux de poids lourds, mais aussi améliorer les circulations cyclables.

Souhaite-t-on que la Région Bretagne investisse ailleurs les 150 millions d’euros qu’elle a prévu d’investir à Saint-Malo ? D’autres ports accueilleront cette manne providentielle avec moins de grimaces que n’en font les Malouins. Vers quel port plus entreprenant irons-nous pour nos futures balades à Jersey, Guernesey ou Portsmouth ? Des enchères pourraient s’ouvrir…

Sur le plan de l’impact visuel, la visite du site actuel de la gare maritime s’impose en préalable à toute prise de position. Quelle vue veut-on défendre ? Existe-t-elle vraiment ? Que voit-on aujourd’hui ? La cité corsaire voisine actuellement avec un imbroglio glauque et immonde de bâtiments hétéroclites et vétustes, un immense parking déprimant, un trafic de camions, de sinistres barbelés en rouleaux, une énorme passerelle rouillée… La situation présente mériterait un reportage photo peu reluisant ! Et je ne parle pas des multiples touristes anglais que j’ai dû orienter vers la gare maritime, parce qu’ils n’imaginaient pas qu’elle puisse correspondre à cette installation minable ! Le seul élément intéressant du site est, bien sûr, le Fort du Naye, avec son environnement de pins et de verdure, mais le futur projet a, bien sûr, décidé de le mettre en valeur.

Qu’est devenu l’esprit d’audace, de réactivité et de conquête qui a fait le succès de la ville de Saint-Malo ? L’image de la ville est pourtant indissoluble de son génie maritime.

C’est le port qui, à travers l’histoire, a permis le développement de la ville. Il en a fait les beaux jours en lui apportant richesse et reconnaissance. Ses armateurs ont su adapter leur commerce à tous les aléas et à toutes les opportunités. En 2023, la ville ne peut tourner le dos à l’activité portuaire sans se renier. Comment peut-on torpiller un beau projet qui lui donne un nouvel élan ? Ouvrons les yeux sur l’état actuel des installations ! Les pétitionnaires se tirent une balle dans le pied. Le port doit conserver son attractivité, son économie continue à bénéficier à toute la ville.

Aussi faut-il veiller à la conception du patrimoine que nous défendons. Un port est un patrimoine vivant, il nous faut contribuer à ce que ce patrimoine perdure et, si possible, nous survive en réalisant la modernisation et les progrès nécessaires. Ou au contraire, veut-on d’une ville-musée chloroformée, d’une carte postale de type Disneyland ?

Le respect du patrimoine n’implique pas l’immobilisme, ni une nostalgie passéiste qui fige tout. Il n’est pas là pour entraver, empêcher le changement, bloquer les évolutions ! Au contraire, il doit les accompagner.

Les Malouins seraient-ils aujourd’hui devenus frileux, pusillanimes ? La ville n’a pourtant pas vocation à s’endormir en se berçant de ses lointains récits du grand large, mais à rester vivante et dynamique en tirant les leçons du passé.

La presse locale a souvent relayé le message des pétitionnaires sans l’analyser ni même renvoyer le lecteur au dossier de la Région Bretagne. Le rôle d’un journaliste s’arrête-t-il à la fonction de relais à une époque où les réseaux sociaux se font les porte-voix de tout et de rien ? Où se situe le décryptage, l’analyse, la synthèse que l’on est en droit d’attendre ?

Le suspense du jour est le suivant : La Ville va-t-elle rater une opération importante et structurante en accordant plus de place qu’elle n’en mérite à une campagne de contrevérités relayée par les réseaux sociaux ? Les fake news, les rumeurs, les fausses informations sont le mal du siècle : les laissera-t-on gagner à Saint-Malo ?

Maryse PIERRARD

Habitante de Saint-Malo