Sans revenir sur les enjeux urbanistiques et les questions pratiques de circulation, stationnement, accessibilité, maintes fois évoquées à juste titre à propos du bâtiment de l’ENSM, je souhaiterais modestement compléter ce plaidoyer de quelques remarques. Il ne s’agit pas de contester un choix, mais d’alerter sur les risques inhérents à ce site, qui présente de nombreuses incompatibilités techniques. Celles-ci seront difficilement surmontables, et seulement au prix d’incertitudes, de retards et de surcoûts, le tout pour un résultat inférieur à celui qui était promis par le projet précédent.
Les musées peuvent avoir les formes les plus diverses et il est difficile de distinguer une classification qui leur serait propre. On parle de typologies fluides. Lorsque des bâtiments anciens, comme des palais, des gares, des piscines, des marchés et même des abattoirs, sont transformés en musées, ils prennent plus d’indépendance et proposent au public une image inattendue et un plaisir amplifié.
L’intégration d’un nouveau programme muséal sur le site de l’Ecole de la marine, patrimoine emblématique de la reconstruction, n’est pas un acte neutre. La reconversion est un exercice délicat qui doit s’inscrire dans une démarche intégrant une grande connaissance de l’édifice et une capacité critique à le comprendre. Il s’agit de réutiliser des bâtiments anciens pour leur donner un nouvel usage en les rendant plus vivants.
Pour parvenir à les adapter aux réalités contemporaine sans les dénaturer, une démarche adaptée aux enjeux environnementaux présents – conservation de la valeur historique, création du lien entre le passé et le présent, recyclage architectural qui réduit la consommation des différentes ressources du projet – est nécessaire.
Or cette démarche louable peut s’avérer très vite une « fausse bonne idée » ayant des conséquences insurmontables, si elle n’est pas accompagnée d’une faisabilité architecturale* attentive permet de vérifier l’équation entre les besoins spatiaux du programme (Programme Scientifique et Culturel ayant reçu l’aval de la Direction nationale des musée) et la capacité de l’existant, pas seulement du point de vue quantitatif mais également qualitatif, soit la potentialité spatiale des lieux.
D’ores et déjà on peut constater que :
- La dispersion des bâtiments existants sur le site n’est pas appropriée pour une utilisation muséale : celle-ci exige des circulations verticales et horizontales fluides, ainsi que de grands volumes permettant un contrôle de la lumière naturelle. Les bâtiments de l’ancienne ENSM, du fait du morcellement des espaces intérieurs, ne sont pas adaptés pour répondre aux contraintes techniques liées à la muséologie moderne. L’ensemble comprend huit bâtiments dont sept émergent de la cour haute, prolongée par une terrasse en belvédère sur la baie. S’y répartissent des salles de classe et de travaux pratiques, divers ateliers (avec dépollution à prévoir), une salle dessin et un foyer, des bureaux, un dortoir, un réfectoire et ses cuisines. Dans le projet du futur musée, les espaces dédiés aux collections, expositions, évènementiel et accueil des publics représentent les 2/3 de la surface totale. Ces fonctions requièrent de grands volumes, des surfaces au sol d’un seul tenant, des hauteurs libres importantes, de la souplesse dans la distribution pour permettre l’accessibilité et la sécurité.
- La configuration du site fait craindre un bilan environnemental négatif. Les contraintes d’un existant complexe, face aux éléments naturels, paraissent difficilement compatibles avec les orientations de développement durable et d’économie d’énergie. Elles font anticiper une grande complexité des installations techniques, résultant en un coût élevé de l’exploitation et de la maintenance, pour une qualité d’usage restreinte.
- Enfin, en terme d’image, l’Ecole nationale de la marine marchande est perçue comme un ensemble de bâtiments austères. Pour lui insuffler de l’attractivité, une greffe contemporaine devra la rééquilibrer, par exemple une voilure transparente et ouverte qui compense la sévérité du granit et contienne les espaces adaptés manquants. Ces espaces nécessaires, il va falloir les créer de toutes pièces en neuf et pour cela procéder à d’importantes démolitions dans l’existant. Cela nécessitera de modifier le règlement d’urbanisme applicable dans l’intra-muros, après une enquête publique.
Une mauvaise estimation ou la sous-évaluation des difficultés liées à l’analyse de l’existant (diagnostics et faisabilité incomplets) peut amener rapidement à un blocage au regard du respect de l’enveloppe financière et du calendrier fixés dans le cadre de l’opération.
Au vu de l’empilement des difficultés à venir, on ne peut que redouter un projet qui tente de forcer la réalité. Nier les évidences est contre-productif et ne peut conduire qu’à une impasse. L’emprise de ENSM pourrait facilement accueillir plusieurs entités indépendantes en meilleure équation avec la capacité des bâtiments existants.
Le permis de construire obtenu pour la construction du musée de l’architecte Kengo Kuma est encore valable (soit jusqu’au 06/09/2028, durée de 3 ans renouvelable 2 fois). La multiplicité des avantages en termes d’usage et de localisation a été largement commentée, la presse professionnelle et la presse internationale ont plébiscité ce projet ainsi qu’une majorité de Malouins.
Alors pourquoi rechercher des difficultés supplémentaires et marcher de côté au lieu d’avancer ? Un retour à la sagesse et à l’évidence serait préférable pour le rayonnement de Saint-Malo.
Note : * Une étude de faisabilité est une étude technique permettant de vérifier si la capacité du site et des bâtiments existants permet d’accueillir le nouveau programme. Elle ne peut être confondue avec un sondage d’opinion recensant les attentes de la population.
P.S. :
L’exposition itinérante « La Mer autour », installée cet été dans les murs de l’ENSM a montré combien la disposition des locaux existants était contraignante pour l’agencement et la présentation au public.
Monsieur LURTON en visitant les lieux avec les représentants de la DRAC, avait lui-même reconnu qu’il serait extrêmement complexe d’y aménager un musée.
Les résultats d’un récent sondage mené par Ouest-France montre avant tout le fort attachement des Malouins à la réalisation du Musée d’histoire maritime et particulièrement à ce que le projet puisse aller à son terme sans complications inutiles ni retards et au meilleur emplacement possible.
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