Un tunnel pour relier les îles Anglo-Normandes à la France : projet, canular ou mégalomanie ? 


Rappel du contexte :

Une proposition pour relier les îles Anglo-Normandes à la France en contournant les routes traditionnelles des ferries est portée par l’ancien président de la Chambre de Commerce de Guernesey. L’idée qui vise à « révolutionner les transports et à stimuler la croissance économique dans la région » s’inspire du réseau de tunnels des îles Féroé mis en service récemment.  La campagne de promotion initiée par des lobbyistes en 2019 en faveur de la construction d’un lien sous-marin est relancée actuellement.

Le 3 mars dernier le document ci-dessus a été dévoilé ainsi que les précisions suivantes :

Le tunnel ferroviaire proposé entre Guernesey et la France, via Jersey, est estimé par ce groupe de campagne à 5,6 milliards de livres sterlings (soit 6,5 milliards d’euros) et les travaux s’étaleraient sur une durée de 10 ans.

Le tracé présenté pour la liaison a une longueur totale de plus 80 km et comporterait deux sections immergées respectivement de 28 km chacune. La première phase relierait Jersey et Guernesey, tandis que la seconde relierait les deux îles à la France.

Selon les annonces faites, des trains-navette relieraient la gare de Saint-Pierre-Port (Guernesey) à l’aéroport de Jersey et à Saint-Hélier en seulement 15 minutes. Depuis Saint-Hélier, le trajet vers le terminal situé en France serait de 18 minutes.

Les constructeurs de tunnels font valoir que des tunnels sont préférables aux ponts pour la sécurité des approvisionnements et la réduction des nuisances sonores et visuelles.

Cependant la liaison fixe proposée par le consortium d’entreprises soulève d’importantes réserves, compte tenu des facteurs techniques, environnementaux et économiques ainsi que de la consultation à prévoir des parties prenantes et des communautés.

Il importe de souligner qu’à ce jour, aucune étude de faisabilité approfondie n’a été encore lancée pour évaluer la viabilité et l’opportunité d’un tel tunnel. Cette étude est annoncée pour 2025.

Réponse à l’article paru dans Le Pays Malouin » du 14/03/2024 : « Un projet de tunnel qui éloignerait Jersey de Saint-Malo » signé Jean-Yves RUAUX

Le cadre d’analyse proposée par Monsieur Ruaux est très déformant et comporte beaucoup d’imprécisions et contre-sens sur le terminal du Naye.

Pourquoi lier l’avenir du Terminal du Naye de Saint-Malo à un hypothétique projet de liaison fixe des iles anglo-normandes au continent en présentant le tout comme un système de vases communicants asséchant et évaporant ?

Le tunnel sous la manche n’a pas fait évaporer le trafic des ferries à Calais, bien au contraire celui-ci a progressé. D’autre part les Britanniques résidant en Bretagne ne trouveraient aucun avantage à faire le détour par la Normandie pour rejoindre les iles anglo-normandes.

Pourquoi considérer que l’investissement de la Région serait vain à Saint-Malo ?

Le Terminal du Naye nécessite une remise à niveau de son offre et une montée de gamme pour rester attractif auprès des compagnies maritimes, indépendamment d’une éventuelle liaison par tunnel sous-marin.

D’autre part, Condor n’est pas la seule compagnie à exploiter le terminal et Brittany Ferry attend le réaménagement prévu pour son nouveau bateau.

Pourquoi prétendre que le montant investi dans la gare représente une grosse fraction du projet de liaison ?

Ce n’est pas la gare maritime qui coûte 150 M d’euros mais l’ensemble de la mise à niveau des infrastructures du terminal, la gare ne représentant que 20% du montant des travaux financés par la Région Bretagne, soit 30 M €. Par rapport à l’investissement envisagé pour les îles anglo-normandes (6,5 milliards d’euros, selon l’estimation actuelle du porteur du projet), le coût de la nouvelle gare maritime ne serait que de 0,5 %. Cela reste infime par rapport à l’incertitude de l’estimation du tunnel, qui repose sur une extrapolation de chiffres à partir d’ouvrages réalisés dans un autre contexte technique et règlementaire.

Pourquoi ne pas désigner clairement le financeur ?

C’est la Région et non la ville de Saint-Malo qui assure totalement le financement du nouveau terminal.

Pourquoi comparer une passerelle piétonne avec un pont routier ?

Comment peut-il y avoir une équivalence de perception entre une passerelle destinée aux piétons de 100 mètres de linéaire avec un pont suspendu au-dessus de la Manche de plus de 30 Km de long, conçu pour accueillir un important trafic routier, et supporté par des pylônes libérant une hauteur libre permettant le passage des plus grands bateaux ?

Pourquoi s’en prendre injustement au projet du nouveau terminal du Naye porté par la Région ?

Améliorer la qualité de vie et de confort pour les passagers est un atout pour développer et pérenniser la desserte des Iles anglo-normande à partir de Saint-Malo. Le projet d’une gare d’une grande qualité architecturale est un des éléments principaux qui contribue à cette remise à niveau et permet au contraire de fluidifier le trajet de Saint-Malo vers les Iles.

 La nouvelle gare maritime de Saint-Malo a un avenir radieux pour de nombreuses années même dans le cas où le projet de liaison fixe des îles aboutissait.

Le projet de tunnel : un plan irréaliste qui confirme l’intérêt de renforcer les liens entre Jersey et Saint-Malo

Le projet propose le creusement d’un tunnel autoroutier sous-marin et terrestre depuis Guernesey et la France via Jersey pour relier les deux îles au continent en extrapolant la solution qui a été mise en œuvre pour relier les Iles Féroé entre elles. Il suscite actuellement des réactions mitigées de la part des insulaires comme des Normands.

Au-delà d’un intérêt économique hypothétique, le projet du tunnel Jersey-France aurait un impact négatif bien supérieur aux avantages escomptés sur de nombreux aspects :

Sur le plan technique et réglementaire, ce n’est pas extrapolable :

Les conditions climatiques et atmosphériques des iles Féroé et de la côte Ouest de la Norvège, qui développent des conditions météorologiques extrêmes, ne sont pas comparables au climat des Iles Anglo-Saxonnes qui sont les plus ensoleillées du Royaume-Uni.

Le dimensionnement, les conditions techniques d’exploitation et de sécurité ne sont pas les mêmes pour les 30 tunnels repartis sur un réseau routier reliant en boucle les îlots des Féroé pour une population de 50 000 habitants et dont l’économie est basée principalement sur l’exploitation des ressources halieutiques. Les Iles anglo-normandes ont une population de 170 000 habitants et l’on envisage le déplacement journalier de 12 000 « navetteurs » depuis la Normandie.

Le développement de l’un des principaux centre financier offshore s’est traduit par une forte hausse de la population ayant des conséquences dévastatrices dans les domaines environnemental et social.

La disparité et la situation des deux exemples ne permet pas l’extrapolation des solutions techniques et encore moins de leurs coûts. Aux îles Féroé les tunnels se situent à l’intérieur d’un même pays où les contrôles sont inexistants ; par contre, la liaison transmanche implique, depuis le Brexit, le contrôle aux frontières avec un terminal à la sortie du tunnel.

Sur le plan financier, c’est insoutenable :

Le tracé proposé pour la liaison des deux Iles Anglo-Normandes aurait une longueur totale de 80 km et comporterait deux sections immergées respectivement de 25 km chacune. C’est à dire plus que le tunnel Calais-Douvres existant. Rappelons que celui-ci a coûté 80 milliards d’euros (chiffres actualisés) pour une longueur de 50 kilomètres dont 38 percés sous la mer, avec un trafic et des enjeux autrement plus importants.

D’autre part il est difficilement concevable que le tunnel de Jersey soit un « mini-tunnel » dans la mesure ou les gabarits routiers et ferroviaires sont standardisés en Europe ainsi que les normes techniques, les dispositifs de sécurité, de ventilation et de secours. Inutile donc d’avancer une estimation fausse.

Durée des travaux et planning très aléatoire :

Le planning prévoit la construction du tunnel reliant Jersey à la France en deuxième phase des travaux. C’est à dire après la mise en service de la liaison fixe entre Guernesey et Jersey qui implique au préalable un accord politique et une refonte de la gouvernance et de l’intégration des services publics des deux îles. Et pour la deuxième phase, les résultats d’un audit économique et social sur la première et l’accord de la France pour poursuivre les travaux sur son sol.

Cela paraît être au-deçà des capacités de gouvernance des deux îles qui n’ont, à ce jour, pas réussi à se mettre d’accord sur la longueur de la piste d’un aéroport ou sur la construction d’un hôpital.

Sur le plan environnemental ce serait insoutenable :

Paralysie des îles, chantiers colossaux pendant plus d’une dizaine d’années, évacuation de milliers de tonnes de remblais, stations de pompage, construction de parkings et terminaux aux deux extrémités…

Que faire et comment gérer le stockage de 3 millions de M2 de roches excavées ? Techniquement, on commence par creuser en même temps le tunnel aux deux extrémités et, en fonction de sa qualité, la roche extraite pourrait être utilisée pour de nouvelles constructions ou constituer un déchet pour le remplissage ou la remise en état. Avec cynisme, nous suggérons au groupement de compléter avantageusement son offre par la construction d’une nouvelle île artificielle, extension de l’Ile de Jersey pour que les sociétés puissent y implanter leurs tours à la façon de Monaco ou Dubaï (Gageons qu’ils y aient certainement déjà pensé)

L’accroissement de la circulation serait une impasse sur les îles :

Les 24 000 mouvements quotidiens estimés entre Jersey et la France mèneraient l’île dans une impasse au niveau de la gestion de la circulation car actuellement l’engorgement a déjà lieu trois fois par jour.

En ce qui concerne les camions, les problèmes liés aux contrôles seront les même qu’à Douvres ou à Coquelles. Remplacer les ferries par un tunnel ne supprime pas les indispensables infrastructures consommatrices d’espace : aire d’attente, de contrôle et de stationnement.

Sur le plan touristique, c’est contre-productif :

Les habitants des îles perdraient leur caractère insulaire et une part de leur identité.

Les visiteurs apprécient actuellement le charme d’une mini-croisière et la découverte de paysages naturels. Quel serait l’intérêt d’un trajet souterrain vers des « îles » embouteillées ?

Sur le plan social, c’est une régression :

Soutenir que le développement d’emplois transfrontaliers serait profitable au développement économique du département de la Manche est irresponsable. Le Luxembourg, champion d’Europe du travail détaché, régulièrement invoqué comme modèle par les investisseurs, est une référence à regarder avec discernement : au-delà du discours euphorique dominant, des effets délétères sont constatés. En Moselle, territoire fournisseur de main-d’œuvre pour le Luxembourg, depuis quinze ans le travail frontalier a détruit des emplois locaux, désagrégé le tissu économique et généré des cités dortoirs. L’assèchement économique est dû au dumping fiscal des entreprises qui s’installent au Luxembourg uniquement pour payer moins de charges.

Conclusion

Ce projet est un fantasme mégalomaniaque partagé par des géants du BTP/tunneliers avec des financiers/aventuriers de paradis fiscaux. Ses partisans font la promotion d’un modèle économique prédateur, qui imposerait une croissance à outrance et conduirait à l’implosion de l’Ile. Ils ne tarderont pas à se heurter au principe de réalité et à l’opposition des populations insulaires et normandes.

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