Saint-Malo, parc d’attractions touristiques ou cité des « Étonnants Voyageurs » ?


Le festival « Étonnants Voyageurs  » qui se déroule actuellement est l’occasion de réfléchir sur ce qui différencie le touriste du voyageur et sur les dérives de la ville hôte de cet événement en matière d’accueil des touristes.

  • Explosion des magasins de junk food qui chacun délivre une spécialité locale que l’on retrouve à l’identique à Nice, Cannes, Biarritz, Paris, Deauville enfin bref sur tous les sites touristiques de France quand ce n’est pas du monde.
  • Petit train qui serpente dans les rues de la cité en diffusant des inepties à mille lieues de l’histoire pourtant riche et variée de notre ville.
  • Patinoire en plein air pendant les fêtes de fin d’année dans une région qui n’a aucune tradition du patinage sur glace et où la douceur hivernale oblige à faire tourner à plein régime les groupes frigorifiques.
  • Grande roue de la route du Rhum, alimentée par une électricité que l’on voudrait faire passer pour vertueuse puisque produite à base d’hydrogène.

Voila un catalogue d’attrape touristes

Maclow, Jacques Cartier François-René de Châteaubriant, Jean-Baptiste Charcot et tant d’autres, la liste est longue des voyageurs attachés à ce rocher et c’est pitié de voir cette cité réduite à l’état de parc d’attractions touristiques pour le seul profit de quelques véritables mercantis avec la bénédiction des édiles de la cité.

Face à ces troupeaux de touristes de plus en plus envahissants et face à leurs incivilités croissantes, les Malouins sont à bout.

Mais le tourisme fait vivre Saint-Malo me direz-vous,

Faux, selon un rapport de l’INSEE 1, seuls 10 % des Malouins (contre 4 % en Bretagne) exercent une profession en lien direct avec le tourisme, autrement dit, quand un touriste croise un Malouin, il y a donc 9 chances sur 10 que pour notre Malouin peu lui en chaut !

Ne laissons plus ces hordes de touristes pires que les dix plaies d’Égypte réunies envahir nos villes et détruire notre qualité de vie. Retrouvons le bonheur d’accueillir à bras ouverts des voyageurs tel que le fût Montaigne, retrouvons le plaisir de leur faire découvrir l’âme de notre cité, nos espaces secrets, notre culture.

Quel dommage d’avoir renoncé à notre musée !

Saint-Malo Un parking au lieu d'un musée
Saint-Malo : Un parking au lieu d’un musée

Le voyageur Michel de Montaigne

je voyage plus souvent sans compaignie 2

Essais de Michel de Montaigne – tome 3

Fuyant les grappes de touristes agglutinés les uns aux autres tel des moutons de Panurge 3, le voyageur va seul ou en petit groupe plus apte à se fondre dans la population locale.

J’ay honte de veoir nos hommes enyvrez de cette sotte humeur, de s’effaroucher des formes contraires aux leurs. Il leur semble estre hors de leur element quand ils sont hors de leur village. Oû qu ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, et abominent les estrangiers

Essais de Michel de Montaigne – tome 3

Le but du voyage étant de rencontrer des personnes, de découvrir les us et coutumes et non pas d’accumuler les selfies.

Quand j’ay esté ailleurs qu’en France, et que pour me faire courtoisie on m’a demandé, si je voulois estre servy à la Françoise, je m’en suis mocqué, et me suis tousiours jetté aux tables les plus espaisses d’estrangiers.

Essais de Michel de Montaigne – tome 3

Quand le touriste exige que l’hôte s’adapte à lui, le voyageur souhaite s’intégrer à la vie locale pour mieux l’appréhender.

Moy qui le plus souvent voyage pour mon plaisir, ne me guide pas si mal. S’il faict laid à droite, je prends à gauche : si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m’arreste.

Essais de Michel de Montaigne – tome 3

Loin du voyageur l’objectif de cocher un maximum de cases sur un programme standard préétabli et calibré au millimètre et à la minute près.

Ay-je laissé quelque chose à veoir derriere moy, j’y retourne : c’est tousiours mon chemin. Je ne trace auscune ligne certaine, ny droicte ny courbe.

Essais de Michel de Montaigne – tome 3

Les détours et imprévus, totalement incompatibles avec les programmes standardisés des agences de tourisme, sont autant de sources de ravissement pour le voyageur.

Ne trouve-je point où je vay, ce qu’on m’avoit dict ? comme il advient souvent que les jugements d’austruy ne s’accordent pas aux miens, et les ay trouvé le plus souvent faulx : je ne plains pas ma peine. J’ay apprins que ce qu’on disoit ny est point.

Essais de Michel de Montaigne – tome 3

Aucun intérêt à avoir le même avis que tout le monde

Le véritable voyage peut être cent fois recommencé, cent fois il sera différent.

Au final, s’attardant au sein de la population du lieu, notre voyageur fera vivre le commerce local. Quelques-uns y perdront, certes, mais beaucoup plus y gagneront.

Le voyage est un art de vivre, accueillir les « hommes aux semelles de vent 4» un plaisir qui n’a pas de prix.

Bibliographie

  1. « Saint-Malo : pôle d’emploi, résidentiel, touristique et portuaire – Insee Flash Bretagne – 51 ». Consulté le 23 mai 2023. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4188373.
  2. Montaigne, Michel de (1533-1592) Auteur du texte. Essais de Michel de Montaigne…. Tome 3, 1783. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96168806.
  3. Rabelais, François (1494?-1553) Auteur du texte. Faits et prouesses épouvantables de Pantagruel fils de Gargantua et roi des Dipsodes, par Maître François Rabelais. Nouvelle édition mise à la portée de tout le monde…, 1865. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6216041r.
  4. Le Bris, Michel. L’homme aux semelles de vent. Paris: Payot, 2012.
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